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Clair obscur, histoire à faire rougir de Marie Gray, éditions Guy SaintJean, Québec, 1995 Je vis, depuis près d’un mois, dans une demiréalité où tout est permis, où tous les scénarios invraisemblables que mon imagination me souffle deviennent possibles. L’attente est presque délicieusement insoutenable… Je m’explique. Je suis ce que je qualifie moimême de «vieille fille». Enfin, disons que depuis que Charles m’a quittée il y a presque deux ans, je suis seule. Entendonsnous bien quand je dis seule, c’est vraiment seule. Je suis sortie avec quelques hommes comme ça pour prendre un verre, mais sans plus. Le désert. Par conséquent, ma nonvie sexuelle n’existe que dans ma tête et avec l’aide précieuse de quelques accessoires malheureusement insignifiants, même si je suis harcelée de fantasmes de plus en plus précis depuis quelque temps. Je n’ai pourtant rien fait pour qu’il en soit ainsi. Je n’ai simplement rencontré aucun homme, depuis ma rupture, qui m’ait donné envie d’essayer, une fois encore, d’accepter les nombreux compromis engendrés par une relation de couple et d’avaler les multiples promesses et les déceptions qui les accompagnent inévitablement. Mes amis et contacts ont bien tenté de me faire connaître des hommes qu’ils jugeaient intéressants, mais en vain… Après quelques tentatives tantôt cocasses, tantôt tragiques, j’ai renoncé à ces rencontres arrangées sans aucun regret. Et voilà qu’un beau jour, contre toute attente, IL est entré dans ma vie. Je m’explique, une fois de plus. Renée, une de mes bonnes amies, est artiste peintre. Elle a présenté, le mois dernier, sa première exposition d’envergure dans une galerie renommée. Et j’ai décidé sur un coup de tête de lui acheter trois toiles, prétextant qu’il valait mieux les acheter tout de suite avant qu’elles ne deviennent hors de prix. Elle m’a alors demandé la permission de les exposer à la galerie quand même et de les faire livrer chez moi un peu plus tard, ce que j’ai très volontiers accepté. Ces tableaux sont en vérité magnifiques et représentent des couples faisant l’amour. Aije vraiment besoin de tourner ainsi le fer dans la plaie Enfin… ces amoureux enlacés baignent dans des jets de couleurs vives, presque violentes. Et leurs corps, aux lignes et aux courbes vaguement esquissées, dégagent à la fois de la tendresse, de la passion et de l’intensité. Deux jours après la fin de l’exposition, ma copine m’a téléphoné pour savoir à quel moment je désirais recevoir les toiles. Nous nous sommes entendues pour le soir même, et elle est arrivée à l’heure convenue, en SA compagnie. En ouvrant ma porte ce soirlà, j’étais loin de me douter que ma vie était sur le point de se transformer radicalement. Renée était cachée derrière un de ses tableaux, et Daniel se tenait devant elle avec un petit air à la fois timide et charmeur qui m’a séduite dès le premier regard. Les présentations ont été brèves, et je me suis surprise à rougir comme une idiote. J’ai entraîné discrètement Renée dans la cuisine pour m’informer davantage au sujet de cette apparition inattendue, laissant à Daniel le soin de tout déballer. Renée est l’une de mes seules copines qui n’ait pas tenté de jouer les entremetteuses avec moi. Elle m’a avoué spontanément qu’elle n’y avait pas songé jusqu’à ce qu’elle se souvienne que son cousin, qu’elle voyait assez régulièrement, était dans la même situation que moi. — Tu ne lui as pas dit que tu l’avais amené pour ça, au moins — Mais non Il m’a proposé de m’aider à ramener mes toiles, et quand je lui ai dit que je devais en livrer quelquesunes, il s’est empressé d’insister… — Hum En tout cas, il est très mignon… C’est quoi, son histoire — Oh Il a été marié pendant quatre ans. Un jour, sa femme l’a quitté pour un autre. Ça fait déjà un bout de temps… Il est tout à fait guéri. Mais il est tellement timide — Adorable, tu veux dire Il doit bien avoir quelque chose qui cloche, non — Pas que je sache… Les choses en sont restées là. Nous avons passé la soirée à parler de tout et de rien entre deux gorgées de café. J’avais de plus en plus l’intention de demander à Renée de me refiler le numéro de téléphone de son beau cousin. S’il était aussi timide qu’elle le prétendait, il ne ferait probablement aucune démarche en ce sens. J’avais encore foi en mes charmes, mais je me promettais quand même de m’accorder quelques jours pour y penser. Je n’ai cependant pas eu le loisir de réfléchir très longtemps à ce que j’allais faire. Daniel m’a téléphoné le soir même pour m’inviter à aller prendre un verre, ce que je me suis évidemment empressée d’accepter… et nous nous voyons tous les soirs depuis lors. Cela fera un mois demain. Un mois de discussions fascinantes, de balades et de visites exaltantes, de fous rires inextinguibles, de confidences rougissantes et de baisers enflammés. Et seulement de baisers enflammés… J’avoue que je trouvais cela frustrant et que mon corps réclamait bien plus que des baisers, aussi incendiaires étaientils. Mais nous nous sommes lancés dans une étrange aventure. Il s’agit en fait d’un pari qui m’a semblé de prime abord stupide et sadique, mais qui, après réflexion, est devenu irrésistible. L’une des plus grandes craintes que nous avions l’un comme l’autre était que notre première relation sexuelle fût décevante. Pas parce que nous n’étions pas attirés l’un par l’autre, mais simplement parce que comme c’est souvent le cas, la peur de décevoir l’autre rend maladroit et timide. Or, il est très rapidement devenu clair que nous avions envie d’une relation sérieuse et exclusive. Nous voulions de ce fait être certains de ressentir tous deux suffisamment de désir pour que, le moment venu, nos corps se laissent aller sans que nos têtes interviennent. Nous avons donc décidé d’attendre un mois avant de faire l’amour. Quatre semaines. Trente jours. Que de belles paroles Quoi qu’il en soit, nous voulons que cette première nuit ensemble soit parfaite. Daniel m’a mise au défi. Il prétend que si je daigne lui faire quelques confidences fragmentaires et de vagues sousentendus, il me devinera suffisamment pour pouvoir m’offrir l’un de mes fantasmes, servi de façon inoubliable. J’ai maintes fois essayé de lui faire comprendre qu’il n’était pas nécessaire de chercher très loin… Mais Monsieur se targue de pouvoir découvrir mes désirs intimes, et je ne peux laisser passer un défi aussi amusant. Résultat je me morfonds à essayer d’anticiper ce qu’il mettra en scène pour moi. Évidemment, il ne me permet pas d’être très explicite, car il veut réellement me surprendre, mais il est persuadé d’être sur la bonne voie. Demain, c’est le grand jour. Pour être bien certain de me torturer jusqu’à la dernière minute, il m’a même interdit de me caresser et d’essayer de le voir ce soir. Tout ce qu’il m’est permis de faire, c’est de rêver. Ce corps que je peux à peine toucher du bout des doigts sera à moi dans moins de vingtquatre heures. Je n’ai jamais vu Daniel nu dans toute sa splendeur et je me l’imagine, essayant tant bien que mal de ne pas trop l’idéaliser. Mon futur amant est plutôt mince et me dépasse d’une bonne tête. Il a l’allure d’un étudiant, avec son air juvénile et ses jeans trop grands. Il doit porter de petites lunettes pour lire. Les mettratil au lit Non, je ne le crois pas. Atil les jambes musclées poilues Ses bras et ses épaules me paraissent solides, sans être exagérément développés. Sa taille est plutôt fine et ses hanches étroites. D’après ce que j’ai pu constater, ses fesses semblent plutôt petites, rondes et fermes. Pour ce qui est de son membre, je n’ai pas eu le droit d’y toucher. Tout ce que j’ai pu sentir, en me serrant contre mon amoureux, c’est que cette extension à sa personne réagissait très bien à ma présence… Je suis à la fois excitée et terriblement anxieuse. Et s’il n’était pas à la hauteur de mes attentes Je me souviens lui avoir confié que j’avais peutêtre des fantasmes un peu plus «piquants» que certaines personnes du moins, c’est ce que je me plais à penser, sans toutefois exagérer. Par «piquants», je veux dire que j’ai toujours préféré un décor différent d’une chambre à coucher et que j’ai une petite tendance exhibitionniste à laquelle je n’ai jamais vraiment eu le loisir ou l’audace de laisser libre cours. J’ai toujours été déchirée entre le plaisir d’exciter le plus grand nombre possible d’individus en même temps et celui de demeurer inaccessible. Pourtant, les orgies ne m’attirent pas et je tiens à ma réputation. Je rêve en fait de pouvoir m’exposer, me montrer sensuelle sans réserve, mais pas devant des gens que je connais ou que je pourrais croiser dans la rue. C’est bizarre. Ce côté exhibitionniste de ma personne, je ne pourrai probablement jamais le satisfaire, ce dont l’autre côté, le puritain, est bien heureux. Je crois bien que toute femme rêve d’être désirée par plusieurs hommes, de les faire bander et de les réduire à l’état d’êtres pantelants, esclaves du désir de leur maîtresse. Mais je ne pense pas que beaucoup de mes semblables souhaitent endosser tous les jours le rôle de la salope… Toujours estil que j’en ai glissé un mot à Daniel. Il m’a tout de suite avoué que sa grande timidité – aussi charmante que paralysante – l’empêcherait de même concevoir ce genre de fantasme. Se sentir désirable, oui, mais devant une foule Ça, non D’après ce que j’ai cru comprendre, son fantasme à lui est banal ou, du moins, commun il rêve de se faire accoster par deux amazones, jumelles de préférence, qui l’entraîneraient dans une folle nuit d’amour à trois. Je lui ai dit que ce n’était pas impossible à réaliser, mais que ça devrait se faire sans moi, puisque je n’ai pas de jumelle… Il rêve aussi de regarder deux femmes faire l’amour. Il m’a d’ailleurs demandé si j’avais déjà été attirée par quelqu’un du même sexe que moi. Quand je lui ai répondu par la négative, il a pris une mine déçue, un peu à la blague. De mon côté, je ne lui ai rien promis. C’était son idée à lui, de vouloir m’offrir quelque chose de remarquable. Cependant, au point où j’en suis, je serais très heureuse de le voir arriver chez moi à l’instant même, de pouvoir lui arracher tous ses vêtements et de faire l’amour comme tout le monde. Dans mon lit, sur mon sofa ou sur le sol… je n’en ai rien à faire. Je ne tiens plus en place, c’est tout Il est près de minuit quand la sonnerie insistante du téléphone interrompt mes rêveries. C’est Daniel… — Comment ça va — Impatiente… — Tu as confiance en moi — Oui, mais je suis un peu nerveuse… — Nerveuse Pourquoi — On aurait peutêtre dû attendre de se connaître un peu mieux… Et si ça ne marchait pas Si on était tous les deux déçus Tu sais, je n’ai pas besoin de vivre mes fantasmes pour avoir envie de toi. Ce que je ressens pour toi est plus profond. J’apprécie ce que tu veux faire, mais si on se trompait — Ne t’inquiète pas. Tu sais, je suis maintenant certain de vouloir vivre plein de choses avec toi, et ce, peu importe l’issue de notre première nuit ensemble. On a tant de choses à découvrir Dis donc, Mademoiselle l’intrépide, deviendraistu peureuse — Non, pas du tout. Je ressens seulement un mélange de curiosité et de nervosité, c’est tout. Je ne sais pas ce que tu prépares, mais je veux t’avoir ici, maintenant, avec moi et dans mon lit. Je n’en peux plus d’attendre Je veux être dans tes bras, coller mon corps contre le tien, t’embrasser des pieds à la tête… — Arrête, je bande… Qu’estce que tu fais, là, maintenant — Je suis dans le salon. J’essayais de regarder la télé pour ne pas penser à toi… — Déshabilletoi. — Quoi Tu plaisantes — Non. Déshabilletoi. Tu portes une blouse — Oui… — Alors, vasy. Défaisen le premier bouton. Puis, les autres, lentement. Imaginetoi que c’est moi qui le fais… Où est donc passée la grande timidité qui l’habitait De toute évidence, la distance établie par le téléphone l’en préserve et c’est tant mieux Je défais donc lentement les boutons de ma blouse. J’imagine que Daniel est devant moi et plonge son regard bleu dans le mien, m’embrasse gentiment, glisse lentement ses doigts entre mes seins, sous la dentelle de mon soutiengorge. De doux frissons me parcourent l’échine. — Ça y est Tu l’as enlevée Maintenant, estce que tu portes une jupe — Oui. — Et des bas — Oui, comme d’habitude. — Alors, pose ta main sur ta cuisse en imaginant que c’est la mienne. Remonte tout doucement le long de ta jambe, glissela sous ta jupe et passe tes doigts sous la bordure de tes bas en laissant tes ongles égratigner un peu ta peau. J’obéis. Je suis enveloppée dans une bulle de chaleur. Je sens sa main qui déboutonne ma jupe. Je me soulève pour la faire glisser au sol, puis je me réinstalle sur le sofa, le téléphone au creux de mon épaule, maintenant nue. J’attends la suite. — Andrea, tu es là — Je… je suis là. J’ai retiré ma jupe. Il ne reste que mes bas, mon soutiengorge et une toute petite culotte qui devient chaude… — Attends, je me débarrasse de mon pantalon. Andrea, mon sexe est dur, énorme. Je suis prêt pour toi. Maintenant, enlève ton soutiengorge et pince tes seins. Je veux que tes mamelons soient durs, gonflés. Je veux les sentir se tendre sous mes doigts. Vasy. Je n’ai pas besoin de les pincer. Mes seins sont tendus à l’excès et pointent vers le ciel comme une offrande. — Andrea, je les vois. Je les sens dans ma bouche… ils sont délicieux Pousse ta culotte sur le côté. Montremoi ce que j’attends depuis si longtemps. Écarte tes lèvres, imagine ma langue sur ta cuisse. Elle monte ensuite se perdre en toi… — Oh, Daniel… j’ai chaud, je te veux Laisse ce téléphone tout de suite et viens me rejoindre. Je suis toute chaude, toute moite. Je vais laisser mes doigts faire ce qu’ils ont envie de faire en t’attendant… — Non, Andrea Tu l’as promis Ça fait partie du jeu. Tu peux te rhabiller, maintenant. Je voulais juste savoir si tu étais prête. Tu peux aller dormir et, demain, je te promets que tu ne regretteras rien. — Daniel, tu blagues ou quoi Je sais ce que j’ai promis, mais tu ne m’aides pas beaucoup — Allez, faisle pour moi. Cela n’en sera que meilleur. Fais de beaux rêves… Puis, il raccroche. Je reste là, le souffle court, la gorge sèche et le sexe en feu. Il veut que je m’arrête Je me concentre sur le vieux dicton qui veut que l’attente exacerbe le plaisir, jusqu’à ce qu’il hante mes pensées comme une mauvaise chanson… Quelle parfaite, monstrueuse, totale idiotie Enfin… C’est aujourd’hui le grand jour. Je le passe dans un état second. Chaque heure qui s’égrène lamentablement accentue la lourdeur que je ressens au basventre et les petits frissons d’anticipation qui me chatouillent chaque fois que je pense à Daniel. La journée me semble interminable, et je regarde les aiguilles de l’horloge avancer péniblement en me demandant ce que je vais porter ce soir. Tout ce que m’a dit Daniel, ce matin, en me donnant rendezvous, c’est qu’il veut que je porte mes sousvêtements les plus suggestifs, ceux dans lesquels je me trouve la plus attirante, désirable. Ce que je mettrai pardessus n’a pas beaucoup d’importance, parce que je ne le porterai pas longtemps. Je l’espère bien En rentrant chez moi, je décide donc d’enfiler mon maillot en dentelle, celui qui écrase et remonte mes seins vers mon menton de façon presque exagérée. Ce vêtement ressemble davantage à un corset qu’à un maillot. Il est fait de satin noir, brodé de minuscules perles, et le buste en dentelle est muni de solides balconnets. Le satin descend en s’amincissant vers l’entrejambe et est bordé par une bande très mince de dentelle. L’arrière du maillot se termine par la même dentelle, qui rejoint le dos par une simple agrafe. En me regardant dans le miroir, je me trouve pas mal du tout. De fins bas noirs complètent l’ensemble avec, en guise de petite touche supplémentaire, des chaussures aux talons vertigineux qui avantagent considérablement ma silhouette. L’effet est plus que satisfaisant. Daniel m’a donné rendezvous dans un petit bar à la mode en plein centreville. J’avais espéré quelque chose de plus intime, mais je lui laisse le soin de me surprendre. Il est ponctuel et très chic dans un magnifique complet taupe. Son visage, rasé de près, dégage les effluves d’une suave eau de Cologne que je peux goûter alors qu’il s’assoit et m’embrasse passionnément. — Tu es éblouissante me murmuretil. — Attends de voir en dessous… Nous commandons à boire et sirotons nerveusement notre verre en nous dévorant du regard. Je me sens tendue, mais de façon tout à fait agréable. L’anticipation m’excite, ma curiosité est à son comble. — Tu veux un autre verre avant qu’on parte demandetil bientôt. — Estce que j’en aurai besoin — Ça dépend de l’état dans lequel tu es… — Moi ou mon corps — Les deux… — Partons tout de suite, alors Nous ne perdons pas plus de temps et montons immédiatement dans un taxi. Daniel a les yeux pétillants. Il donne un bout de papier sur lequel est indiquée une adresse au chauffeur et se met aussitôt à m’embrasser avec une rage insoupçonnée. Puis, il prend une longue et profonde inspiration — Tu m’as pris au sérieux… Dieu que j’ai envie de toi Je sens sa main glisser sous ma robe, et la mince dentelle sous laquelle palpite mon sexe humide et impatient me paraît tout à coup bien encombrante. Sous mes doigts habiles, posés sur son pantalon, son sexe se gonfle et je me réjouis de le voir atteindre des proportions alléchantes, tandis que le doigt qu’il glisse entre mes cuisses me fait gémir. — On se déshabille ici ou on va réellement quelque part — Ce ne sera plus très long. Je l’espère bien… Au rythme où vont les choses, je ne tarderai pas à laisser ma trace sur le siège du taxi. Les environs ne me sont pas familiers c’est le Red light de la ville. Des prostituées arpentent le trottoir, alors que les bars et les cinémas pornos se succèdent en une nuée de néons criards. Une petite pointe d’appréhension se forme dans mon esprit torturé de désir, mais Daniel, qui a deviné ma gêne, me rassure. — Ne t’en fais pas… Je ne t’emmène pas dans l’un de ces trous et je n’ai pas non plus retenu les services d’une «professionnelle» pour la soirée. — Merci… Le chauffeur s’enfonce dans une petite ruelle mal éclairée. Mais où diable nous conduitil donc Nous sommes maintenant à quelques rues de l’artère principale, et aucun commerce ni aucun bar ne sont visibles. Le chauffeur s’arrête enfin devant une porte, sur laquelle une plaque discrète indique «Sur rendezvous seulement». Daniel paie la course du taxi et m’aide à descendre du véhicule avant d’entrer sans sonner. Un large vestibule, tout en miroirs, s’offre à nos yeux. Personne… Un assortiment de masques de carnaval est suspendu sur un mur, droit devant nous, à côté d’une porte close. Il y en a de toutes les couleurs, de toutes les formes. Certains sont décorés de dentelle et de sequins, alors que d’autres sont tout simples. Tous sont conçus pour couvrir la presque totalité du visage, ne laissant que la bouche et le menton à découvert. Tendrement, Daniel me demande d’en choisir deux. Il en dépose un délicatement sur mon visage, avant de revêtir l’autre. Il ouvre la seconde porte et m’invite à avancer jusqu’à un comptoir qui ressemble à la réception d’un hôtel chic. Un maître d’hôtel en smoking nous y accueille poliment par un petit hochement de tête et un sourire discret. — Vos noms, s’il vous plaît — Jean et Marie. — Si vous voulez bien me suivre… Jean et Marie Mais qu’estce que c’est que cette histoire Ma curiosité est piquée au plus haut point, et ma nervosité augmente d’un cran. Pourquoi portonsnous ces masques Hum J’en ai l’eau à la bouche, malgré l’incertitude qui m’envahit. L’homme nous guide le long d’un corridor sobrement décoré de toiles aux couleurs pastel. Sommesnous dans un hôtel un restaurant Je n’en ai pas la moindre idée. Puis, le maître d’hôtel nous fait pénétrer dans une grande chambre circulaire dont le plafond est très haut et l’éclairage, judicieusement tamisé. Les murs sont recouverts de verre ou de miroirs, je ne saurais le dire, quoiqu’ils me paraissent bien sombres. Mais comme il m’est impossible de voir au travers, j’en déduis que ce ne sont sûrement pas de simples fenêtres. Le verre est par contre suffisamment réfléchissant pour que je nous voie entrer dans cette pièce et regarder autour de nous d’un air ébahi, tandis que l’homme s’efface sans plus de cérémonie. Le mobilier de cet espace se résume à un énorme lit au centre. Un lit circulaire, lui aussi, qui trône au beau milieu de la pièce. Et tout autour, nous voyons des fauteuils, bas et larges, appuyés contre les miroirs. Daniel semble aussi surpris que moi, mais il me dit — C’est exactement ce que l’on m’avait décrit. Mieux, même… — Comme c’est étrange. Estce un hôtel — En quelque sorte… à quelques différences près… Viens. Je m’élance enfin dans ses bras et nous nous embrassons aussi avidement que dans le taxi, sinon plus. Il commence à s’attaquer à ma robe quand je devine, plus que je ne le vois, l’éclairage changer subtilement. Je me rends alors compte que les miroirs, ou du moins ce que je croyais être des miroirs, sont en réalité des fenêtres. Mais ces fenêtres ne donnent pas sur l’extérieur… Pas du tout La chambre fait plutôt office d’arène. Une arène autour de laquelle, sur deux étages, des gens masqués assistent au spectacle. Je ne vois que leurs silhouettes, mais ils sont nombreux. L’espace derrière les fenêtres semble divisé en une cinquantaine de petits compartiments d’où les gens assistent à nos ébats, seuls ou en couple. L’intensité de l’éclairage augmente encore un peu, m’empêchant de distinguer leur physionomie. Je ne perçois que leurs formes, masculines pour la plupart, mais aussi quelques couples enlacés qui attendent patiemment. Je suis sous le choc et ne sais pas trop comment réagir. Puis, je réalise ce qui se passe… Daniel tente de scruter mon visage sous le masque, afin de saisir ma réaction. Il est tout à coup nerveux, incertain. Comment lui expliquer que ce décor, ce théâtre, tout cela est parfait Que ce lieu fait naître en moi un désir immense Plutôt que de m’expliquer, je saisis la main de mon amoureux et l’embrasse tendrement. Puis, je la guide sous ma robe pour qu’il puisse juger par luimême ma réaction. Je recule ensuite de quelques pas et entreprends de me dévêtir lentement, prenant soin de lui adresser mon plus beau sourire pour lui faire comprendre qu’il a réussi à me satisfaire audelà de mes espérances les plus folles. Je marche lentement autour du lit, me gavant de cette sensation de provocation, m’assurant que les spectateurs aient tous la même vue avantageuse sur ma tenue. Je suis toujours en proie à un étonnement total et n’arrive pas encore à croire à ce qui m’arrive, mais je savoure chaque instant de triomphe. Je m’approche de Daniel et l’embrasse avec toute la passion dont je suis capable, glissant ma cuisse droite entre ses jambes pour me réjouir de son érection sublime. Je fais par la suite mine de lui retirer ses vêtements, guettant à mon tour sa réaction. Jusqu’où sa timidité lui permettratelle de se rendre dans ce petit jeu Il me sourit, devinant mon hésitation, et me rassure — Grâce au masque, tout va bien… Avec un sourire taquin et triomphant, je lui demande de rester debout. Je pars m’étendre seule, sur le lit. — Je vais enfin pouvoir continuer ce que tu m’as fait interrompre hier soir, petit coquin… À ma grande surprise – et je dois dire à ma grande satisfaction – la chambre se met aussitôt à tourner lentement, très lentement. D’un mouvement à peine perceptible, le plancher circulaire pivote sur luimême afin d’offrir à tous des prises de vue de choix. Je m’étends alors langoureusement sur le lit, écartant largement mes cuisses, et regarde attentivement autour de moi. Au moins cinquante paires d’yeux observent chacun de mes mouvements, et trente queues s’apprêtent à bander sur le spectacle que je vais offrir. Je peux sentir le désir qui se dégage des spectateurs. À cette pensée, mon sexe s’ouvre comme une fleur et je sens la sève couler jusque sur le couvrelit de satin rose. Je libère mes seins de leur entrave, leur permets de respirer librement et de se gonfler d’orgueil. Ma main droite descend d’ellemême entre mes jambes, tandis que l’autre écarte les lèvres humides de mon sexe pour me permettre d’atteindre plus facilement la petite parcelle qui me ferait jouir instantanément si je me le permettais. Daniel me contemple, me laissant goûter ce plaisir inespéré. Je me sens à la fois comme une déesse inaccessible, un objet de convoitise et une salope de la pire espèce. J’imagine tous ces gens haleter par ma faute, les couples se caresser et faire l’amour derrière les fenêtres, excités à la vue de mon corps enflammé, et je me sens irrésistible. Daniel me rejoint bientôt au pied du lit et enfouit son visage entre mes cuisses brûlantes. Il me baigne de sa salive, me pénètre avec sa langue, suivie de ses doigts. Je ne sais plus quel liquide émane de qui. Tout ce que je ressens est cet orgasme imminent, démesuré, qui va me secouer d’un instant à l’autre. Daniel m’emmène au bord du gouffre et se relève brusquement. Il passe à la tête du lit et me caresse doucement la gorge en me retenant les poignets, m’empêchant ainsi de mettre fin à mon agonie et d’avoir une jouissance libératrice. Il m’embrasse en même temps le cou et les seins avec une douceur insupportable. Je sens sur ma peau des milliers de petits chocs électriques, des étincelles de plaisir. Mon amant se relève enfin et revient caresser mon sexe du bout des doigts, tout doucement d’abord, puis de façon plus insistante. Il monte sur le lit, à mes côtés, et se remet à la tâche, sachant que je vais bientôt exploser et ne voulant en priver personne. Des vagues déferlent à travers tout mon corps et je jouis avec une intensité impensable. Mon ventre se secoue interminablement, mon corps se tord contre ma volonté et, enfin, Daniel s’enfonce en moi. Remontant mes jambes sur ses épaules, il me malmène à un rythme effréné. — Ça va — Oh, Daniel, c’est incroyable… Comment astu su — Je te le dirai, un jour. Sans dire un mot de plus, il m’aide à me retourner, me fait glisser au bord du lit et redresse mes fesses, avant de les saisir fermement et de s’enfoncer au plus profond de mon corps, tandis que ses doigts habiles me caressent et me chavirent de nouveau. Je ne me préoccupe plus beaucoup des gens qui nous regardent. Je ne fais que puiser dans leur présence une satisfaction intense, un plaisir décuplé. Je dédie secrètement chaque coup que me donne Daniel à l’un ou à l’autre de mes admirateurs anonymes, tentant ainsi de les remercier de l’honneur qu’ils me font. Je sens Daniel frémir, immense en moi. Il va et vient avec une force inépuisable, me prenant pardevant, parderrière, en dessous et audessus. Quand il me permet enfin de m’étendre sur lui et de le chevaucher, je mets tout l’art dont je suis capable à son service. Je me tiens assise sur lui, me caressant pour laisser couler librement un flot de jouissance qui ne s’épuise toujours pas. Puis, je m’accroupis lentement, enserrant sa queue de toutes mes forces dans mon vagin, avant d’accélérer devant son expression incrédule. Je lui fais l’amour avec le plus de tendresse, d’art et de gratitude possible. Je lui crie mon amour, mon bonheur et j’accélère jusqu’à ce qu’il jouisse à son tour, me renversant sur le côté pour me donner quelques coups ultimes. Comme s’il s’agissait d’un signal, la pièce est aussitôt plongée dans les ténèbres. Ah bienfaisante obscurité Autant j’ai apprécié le décor qui nous environne, autant je veux à présent goûter ce premier contact avec Daniel en toute intimité. Je viens de réaliser un de mes fantasmes les plus fous, et à ce moment précis, je suis un peu confuse. Estce bien moi qui me suis donnée ainsi en spectacle J’ai peine à y croire et ressens plein de sentiments contradictoires. Daniel m’a fait connaître une expérience à laquelle je n’avais pu que rêver, mais je ne suis pas certaine de vouloir la répéter. Cela a été si intense, si incroyablement exaltant que j’ai soudainement un peu peur de la signification d’une telle révélation. Je suis heureuse, vidée, bouleversée et amoureuse. Et ce moment de complicité, je n’aurais voulu le partager avec personne d’autre. Daniel me prend dans ses bras, caresse mes cheveux, et je sens que je pourrais rester là très, très longtemps. Daniel rompt le silence en me murmurant — Tu sais, maintenant, on peut changer de place. On peut passer derrière les vitres… — Non, non, ce n’est pas la même chose. Daniel, c’était… je ne sais pas comment te dire. Je rêvais de quelque chose comme ça depuis des années. Je n’avais pas d’image aussi détaillée ou élaborée, bien sûr, mais tout était parfait. Tout Je suis heureuse de l’avoir vécu une fois et je suis satisfaite. Et toi, ça n’a pas été trop dur — Pas du tout. J’étais un peu mal à l’aise au début, bien sûr, mais ça s’est arrangé. Reste dans mes bras un moment, ensuite je te ferai visiter. J’ai une autre surprise… Tu veux bien passer la nuit chez moi — Comme si tu devais me le demander Nous restons là, repus de jouissance, dans les bras l’un de l’autre. J’ai maintenant très envie, un besoin pressant de partir d’ici. Puisqu’on ne peut pas rester dans cet endroit toute la nuit, autant ne pas s’éterniser. Et puis, il a parlé d’une autre surprise… Je suis Daniel dans une petite pièce attenante, dans laquelle nous pouvons refaire un brin de toilette. Il me demande cependant de garder mon masque, et je ne me fais pas prier. — Comment astu connu cet endroit Qui peut penser à cela demandéje. — Ça fait partie de la surprise… Je te fais faire le grand tour — Si tu veux, mais je veux aller chez toi ensuite… — Oui. Ça ne sera pas long, je te le promets. Il me guide dans un autre corridor, puis me fait gravir un escalier. En haut, le couloir que nous découvrons, entrecoupé de nombreuses petites portes, se courbe comme pour suivre le tracé d’une pièce circulaire. Je comprends qu’il s’agit des petites cabines dans lesquelles les gens prenaient place. — Daniel, je n’ai pas envie de regarder un autre couple… — Chut Suismoi. Il ouvre une des portes, et avant que j’aie le temps de réagir, il saisit l’interrupteur et inonde la pièce de lumière. La petite cabine en question est occupée un homme et une femme, tous les deux masqués, se tiennent par la taille sans bouger. Sans se donner la peine de fermer la porte, Daniel passe alors rapidement à la pièce suivante et refait le même manège deux silhouettes vêtues de tenues de soirée, portant gants et masques, nous tournent le dos… et ne bougent pas non plus — Tu vois, expliquetil, j’ai un ami qui est styliste. Il utilisait cet endroit pour inviter les clients à voir ses nouvelles collections. Le bâtiment lui appartenait, mais il n’avait plus les moyens de faire appel à des mannequins… en chair et en os. Ceuxlà, il les a achetés d’un magasin qui a dû fermer ses portes. Tu es déçue J’ai besoin d’avaler ma salive à plusieurs reprises avant de répondre, réfrénant un fou rire. Ce sont des mannequins En plastique Je ne peux que m’incliner — Je crois bien que nous aurons réussi à rendre cette soirée inoubliable…