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Note de réalisation « On trouve donc, dans ce roman, un soupçon de François Pérusse, une poignée des Simpson et des effluves de fleuve et d’oursins — un univers ludique et absurde, à mi-chemin entre les frères Coen, John Irving et les jeux vidéo japonais des années 1990. » - Le Devoir, mars 2021 C’est cette phrase écrite par Anne-Frédérique Hébert-Dolbec sur Tout est ori qui m’a immédiatement convaincu d’aller acheter le roman. À en croire les mots de la journaliste, tout y était pour me plaire et dès les premières pages, mon enthousiasme pour cet univers a vite été confirmé. Depuis mars 2021, ma vie est devenue Tout est ori : j’y ai consacré ma dernière année, entre l’écriture du scénario avec Guillaume Laurin et la conception de l’adaptation cinématographique du roman. Il est indéniable que ce roman est apparu dans le paysage littéraire québécois en 2021 comme une œuvre singulière. C’est un récit qui détient un immense potentiel expressif et visuel; l’auteur Paul Serge Forest a définitivement créé une histoire unique qui possède une force narrative hors du commun. Ainsi, Tout est ori se déploie au moyen d’une écriture contemporaine : autant le roman se positionne déjà comme un incontournable dans l’univers littéraire québécois, autant l’adaptation sur grand écran le sera pour la cinématographie québécoise. Le corps créatif Il m’importe beaucoup de m’entourer de co-équipiers.ères en qui j’ai confiance et avec qui je souhaite développer adéquatement chacun de mes projets. Afin d’assurer la réussite de l’adaptation de Tout est ori au cinéma, j’ai voulu réunir la même équipe avec laquelle j’ai réalisé Jusqu’au déclin (2020). Dès les premières phases d’écriture, j’ai impliqué chacun.e de mes collaborateurs.trices afin que celles et ceux-ci puissent nourrir artistiquement le projet et le scénario. De plus, l’ajout de Félize Frappier en tant que productrice au sein de l’équipe de Couronne Nord me permet de croire en mes ambitions et de nourrir une grande confiance envers le succès du projet. J’ai beaucoup d’admiration pour ses précédentes productions qui ont marqué notre culture (Kuessipan de Myriam Verreault en 2019 et Corbo de Mathieu Denis en 2014, entre autres) et je suis persuadé qu’elle sera un atout considérable à l’équipe. Elle a d’ailleurs accumulé une expérience de tournage sur la Côte-Nord dans le cadre du long métrage de Myriam Verreault, ce qui demeure particulièrement pertinent pour le projet Tout est ori, campé dans la même région. DÉJOUER LE GENRE CINÉMATOGRAPHIQUE Lorsqu’on me demande de décrire ce livre complexe, j’explique qu’il s’agit d’une saga familiale mêlée à un récit initiatique (coming of age), qui évolue vers un thriller d’enquête sanitaire pour finalement muter en récit de science-fiction nippone, le tout, oscillant entre la comédie et le drame. Ces nombreux changements de genres et de tons sont définitivement ce qui constitue les forces du roman. Je souhaite que l’adaptation du roman s’inspire de cette porosité des catégories et assimile celle-ci dans son langage cinématographique afin de créer un récit qui mise sur une mouvance stylistique constante. L’idée du renversement du genre cinématographique est définitivement au cœur de ma propre démarche artistique de cinéaste, et c’est certainement ce qui a alimenté mon intérêt envers le roman de Paul Serge Forest. Mon court métrage Viaduc (2015) reconduit ce jeu de renversement de genre : le récit débute à la manière d’un film d’action pour ensuite se transformer en drame sur le deuil d’un frère. Mon long métrage Très belle journée (2022) est également construit selon une interpolation stylistique : j’ai abordé la réalisation en me donnant la possibilité de jouer avec les codes du néo-noir et du thriller, en insérant des enjeux scénaristiques qui altère l’idée initiale qu’on se fait du récit. Selon moi, le genre cinématographique est un langage codé et commun entre les spectateurs.trices et les cinéastes. Il s’agit d’une convention qui permet à la fois de conforter le public, mais qui offre aussi la possibilité d’être déformé afin de déjouer nos attentes. Ainsi, dans Tout est ori comme dans mes précédents films, je cherche à m’amuser avec les potentiels narratifs et stylistiques de l’univers du roman dans le but de surprendre le public et lui proposer une expérience cinématographique marquante. Un humour savant et grotesque Lors de ma première rencontre avec Paul Serge Forest lors de laquelle nous avons débuté les discussions sur l’adaptation de Tout est ori au cinéma, l’auteur m’a demandé si j’avais ri durant ma lecture. Je lui ai répondu que son humour m'avait immédiatement rejoint et que j’avais ressenti beaucoup d’affinités avec son sens de la comédie. En effet, c’est un des aspects de la littérature de Forest qui m’a le plus attiré dans l’adaptation du roman en scénario. Il est indéniable que ce dernier a un talent unique de dialoguiste et que l’humour contenu dans ses mises en scène et ses tournures de phrases comiques a le potentiel de créer des scènes fortes à l’écran. Dans l’univers vernaculaire de la Côte-Nord, Forest a su créer des répliques imagées, telles que « Il y a pas de famille qui font des party de poissons. » et « Je vais vous dire, le rouge, le bleu puis le jaune m'ont bien suffi toute ma vie. Puis le jaune, si c'était pas de la moutarde, je pourrais m'en passer. » Son humour s’incarne dans la provocation et l’audace; entre Rabelais et les Monthy Pythons, l’auteur se plaît à explorer le rire franc et grinçant de l’humour noir au travers de personnages gargantuesques et extravagants. On le remarque d’ailleurs dans la scène du début où un chat est accidentellement tué par deux fillettes qui voulaient tester les effets d’un auto-injecteur d’adrénaline sur l’animal. Comme Rabelais, Forest est médecin de profession et son point de vue scientifique sur le monde permet à son humour de se déployer sans aucune pudeur face à des situations loufoques, parfois complètement grotesques. Par exemple, l’élément déclencheur du récit de Tout est ori prend place dans une scène d’empoisonnement alimentaire collectif, lors de laquelle les dames s’enfargent dans leurs robes et les messieurs s’enfargent dans les dames. La construction de cette scène clé est réfléchie en contraste : les invité.e.s du restaurant, vêtu.e.s de leurs plus beaux habits, effectuent malgré eux une tâche convulsive de bas niveau. La noblesse côtoie alors l’immonde, telle une scène tirée tout droit d’une peinture de Jérôme Bosch. Plus les invité.e.s seront présenté.e.s dignement grâce à leurs riches vêtements et accessoires, plus l’effet comique de leur soulagement d’urgence sera fort. Ce moment comique prend une tournure épique qui rappelle une fresque d’Eugène Delacroix, romantique et tragique à la fois, alors que la foule se précipite sur la plage pour se délivrer de leurs malaises gastriques. Le mouvement des corps sera mis en scène à la manière d’une composition picturale qui rappellera le célèbre tableau La Liberté guidant le peuple (1830). Ce clin d'œil à l’histoire de l’art souligne en quelque sorte le positionnement artistique de Paul Serge Forest, entre la culture populaire et la culture savante. Enfin, il est difficile de ne pas penser à la scène d’indigestion et de mal de mer dans le récent film Triangle of Sadness (2022) de Ruben Ostlund : la vision d’horreur des riches vacanciers.ères qui expulsent tous leurs fluides me fait indéniablement penser au banquet chez Saturne. Cependant, contrairement à Triangle of Sadness, Tout est ori ne misera pas sur une surenchère dans le temps durant cette scène répugnante. Si l’humour est parfois cru, voire répugnant, je souhaite que le ton de Tout est ori demeure léger et bon enfant; la provocation ne doit pas apparaître gratuitement. Il existe selon moi une mince ligne entre le bon goût et l’envie de provoquer inutilement et il m’apparaît plus important de faire rire un grand public avec des blagues un brin scatophiles, plutôt que de créer un walk-out dans la salle. L’histoire de Forest comporte nécessairement des situations qui font référence à certaines mécaniques biologiques qui peuvent dégoûter certains spectateurs.trices, mais il s’agit surtout de trouver la bonne approche sans tabou. Autrement dit, il s’agit de réaliser un film ayant une cote égale ou inférieure à 13 ans et plus. Mon approche du cinéma comique et l’aspect humoristique du récit sont nourris par plusieurs références qui mettent de l’avant une forme d’esprit intelligente et élégante à travers plusieurs styles différents. Mes inspirations sont les Frères Coen, pour la création de leurs personnages marquants, Harmony Korine, entre autres pour son étrange comédie Mister Lonely (2008), Quentin Dupieux, pour son utilisation judicieuse de l’absurde, Wes Anderson, pour l’usage inédit de la frontalité et des jeux de regards, Yorgos Lanthimos, pour son univers décalé, et Bruno Dumont pour des projets inédits comme P’tit Quinquin (2014). L’humour contenu dans l’adaptation de Tout est ori me permet de revenir à un genre cinématographique que j’ai exploré au début de ma carrière. Mes premiers projets de réalisation ont effectivement été de nature humoristique : La boîte à malle (2012) et Offre d’emploi (2011) sont deux webséries qui ont récolté des nominations dans les catégories de meilleur contenu web humoristique aux Gala Les Olivier et au Gala des prix Gémeaux.