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3/28/2021 Le français : des mots de chacun, une langue pour tous - Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? - Presses universitaires de Rennes SEARCH All OpenEdition Presses universitaires de Rennes Le français : des mots de chacun, une langue pour tous | Françoise Argod-Dutard https://books.openedition.org/pur/34863?lang=en 1/22 3/28/2021 1 Le français : des mots de chacun, une langue pour tous - Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? - Presses universitaires de Rennes Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? Ambroise Queféllec p. 53-66 Full text De longue date, depuis au moins le XVIIe siècle, le français, plus que d’autres langues, a été marqué par une tradition monocentrique qui a régné sans partage pendant au moins trois siècles et a fait de l’usage parisien la norme de référence incontestée. Le centralisme monarchique puis le jacobinisme linguistique qui a inspiré les diverses républiques ont renforcé le sentiment de la prééminence de l’usage francilien qui existait dès le Moyen Âge et qui incitait les écrivains à s’excuser de ne pas avoir comme langue maternelle la variété dialectale francien ne. Le centralisme linguistique, essentiellement grâce à ces instruments de régulation linguistique que sont l’école, l’armée (service militaire) et les médias, a entraîné dans l’hexagone, non seulement la chasse aux langues régionales (breton, alsacien, basque, langue d’oc, franco-provençal, corse) mais aussi aux dialectes de la partie nord de la France apparentés génétiquement au français. Cette politique normative coercitive s’est poursuivie aux XIXe et XXe siècles dans les territoires colonisés ou https://books.openedition.org/pur/34863?lang=en 2/22 3/28/2021 Le français : des mots de chacun, une langue pour tous - Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? - Presses universitaires de Rennes langues locales, dont administrés par la France et a pareillement promu, au moins en théorie, le français central, magnifié dans le discours colonial comme instrument de civilisation, au détriment des l’emploi en situation formelle était théoriquement limité à la pratique du culte. La situation a sans doute était un peu différente en Nouvelle-France, c’est-à-dire au Canada français, où la rupture politique des années 1750 et le passage sous la domination anglaise ont entraîné tout au long des XVIIIe et XIXe siècles une attitude plus contrastée à la fois d’idéalisation du français (outil de résistance culturelle, économique et religieuse contre le monde anglo-saxon) mais aussi de méfiance contre la France accusée à la fois de son indifférence vis-à-vis de ses « enfants » nord-américains et de l’adoption d’un modèle politique condamné par les élites québécoises. Dans ces conditions, qu’ils fussent issus de la contamination du français standard par les langues de substrat (hexagone et colonies françaises) ou de l’évolution sui generis en situation d’isolement de la koiné qui s’était formée rapidement en Amérique du nord par croisement entre français populaire et « patois » du nord-ouest, les français régionaux furent perçus au mieux comme des idiomes « exotiques » sources de plaisanteries ou de pittoresque pour les tenants du « bon français », au pire comme une tare dont les utilisateurs en situation d’insécurité linguistique devaient se débarrasser au plus vite1. Au cours de la seconde moitié du XXe siècle, cette situation de diglossie interne entre la variété de prestige et les français régionaux va progressivement évoluer à travers une revalorisation des seconds par une partie de leurs usagers. Il s’instaure progressivement l’idée d’une multipolarité du français et de la coexistence dans l’espace francophone de plusieurs variétés régionales du français toutes aussi légitimes et dignes d’accéder aux fonctions hautes de la communication. Notre intervention se proposera donc d’interroger les représentations auxquelles donnent lieu les variétés régionales, elle présentera ensuite le fonctionnement interne de ces topolectes du français en se focalisant sur les deux niveaux, 2 3 https://books.openedition.org/pur/34863?lang=en 3/22 3/28/2021 Le français : des mots de chacun, une langue pour tous - Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? - Presses universitaires de Rennes 4 phonétique/phonologie et lexique, où s’accusent les différences avec le standard, enfin elle réfléchira sur les problèmes que soulève le choix d’une norme locale dans une conception polycentrée du français. Le refus de la norme parisienne et la revendication identitaire Les prises de position en faveur de la variété régionale de français sont inséparables de la prise de conscience d’une identité culturelle souvent minorée pour des raisons politiques ou économiques. Dans la France hexagonale, c’est dans les années 19302 que débute la revendication d’un « français d’ici » par opposition au « français officiel » (celui des institutions : école, administration, presse) : pour le midi de la France, les textes de Pagnol sont à cet égard représentatifs de cette méfiance vis-à-vis de la langue des gens du nord (fussent-ils lyonnais comme Monsieur Brun puisque pour un Marseillais le nord commence à Valence) et de la célébration d’un français local perçu comme marque d’appartenance à un terroir et à une communauté culturelle. Quand Césariot exprime son regret d’avoir perdu la parlure marseillaise de sa famille (Césariot : « ce n’est pas de ma faute si je n’ai plus l’accent marseillais »), son grand-père César, en grossissant les écarts entre le marseillais et le standard, l’accuse implicitement d’avoir trahi ses origines (César : « Plus tout à fait ? Mais tu l’as plus du tout. Je comprends pas la moitié de ta conversation. Bientôt il te faudra un interprète... »). Cet extrait de la version filmique (1936) de César souligne bien que, pour un Marseillais de pure souche, c’est la parlure locale qui doit servir de langue d’échange et que la variété orthoépique est sentie comme « estrangère », comme la langue des « pointus ». Ce refus de l’« accent parisien » et la valorisation du parler local qui est une constante de la culture méridionale peuvent d’ailleurs prendre une forme paroxystique et agressive, mais à certains égards représentative : « Avec les trous du cul qui https://books.openedition.org/pur/34863?lang=en 4/22 3/28/2021 Le français : des mots de chacun, une langue pour tous - Variétés et variation : du français monocentré à la francophonie pluricentrique ? - Presses universitaires de Rennes 5 6 cachent leur accent, avec les franchimands, y’a pas d’arrangement » (paroles du groupe Massilia Sound System, Aïollywood, 1997). Même jugement linguistique négatif en Belgique ou en Suisse romande sur un locuteur local surpris à parler comme un Parisien et à qui l’on reproche de « fransquilloner » ou de « raffiner ». La contestation de la norme parisienne se retrouve au Québec même si elle apparaît au grand jour un peu plus tard, dans les années 1960 avec la « Révolution tranquille » sur le plan politique et la « querelle du joual » qui focalise les débats linguistiques et pédagogiques sur la norme. Défenseurs de l’identité nationale québécoise et refusant l’aliénation culturelle (anglo-saxonne mais aussi française), un certain nombre d’intellectuels et de linguistes aménagistes soutiennent que la norme québécoise doit être définie par les Québécois eux-mêmes et que le français québécois peut lui aussi servir de norme de référence, car au moins aussi légitime et d’aussi bonne qualité que le français parisien : l’humoriste Alain Stanké traduit en termes plus triviaux cette prise de position dans le titre de son livre : Je parle plus mieux française que vous et j’te merde. En Afrique subsaharienne, dans les anciennes colonies et territoires sous protectorat français ou belge, la représentation du français et de sa norme présente, par-delà des différences de surface, des convergences avec la situation québécoise. Perçu pendant longtemps comme langue étrangère imposée comme langue officielle par le colonisateur et « trouvée dans les décombres du régime colonial » selon la formule de Senghor, le français s’est progressivement, surtout grâce à l’école, intégré dans le répertoire linguistique d’un nombre croissant d’Africains. Son corpus, fort limité dans les premières années de l’indépendance, s’est étendu à un pourcentage plus important de locuteurs nationaux et a réduit le fossé creusé entre son usage effectif et ses positions statutaires dominantes de langue du Pouvoir. À mesure cependant que le français se tropicalise et devient langue africaine selon la formule utilisée par G. Mendo-Zé, son image se transforme : en en faisant un élément du patrimoine africain3, en se l’appropriant https://books.openedition.org/pur/34863?lang=en 5/22